Quelques présentations sur le Projet de loi 59 en commission parlementaire

Voici cinq interventions qui ont été présentées à l’Assemblée Nationale lors de la Commission des institutions dans le cadre du Projet de loi 59 sur la prévention des discours haineux et incitant à la violence. Vous pourrez entendre tour à tour Marc Lebuis, les citoyens Claude Simard et Jérôme Blanchet-Gravel, l’organisme Pour le droit des femmes du Québec, le Rassemblement pour la laïcité et finalement le Mouvement laïque québécois. D’autres présentations seraient sans doute d’intérêt également. Voilà quelques jours, le gouvernement a fait savoir que le projet de loi serait réécrit, comme cela avait été mentionné auparavant par le Premier Ministre. Nous devrons donc attendre de voir la nouvelle version pour se faire une idée. Néanmoins, je tenais à vous présenter ces interventions car elles cernent très bien le problème qui est en jeu ici. Je vous invite à les écouter intégralement, ainsi que les périodes d’échange et de questions qui les suivent.

Je voudrais faire quelques remarques sur des points réellement importants qui ont été abordés par l’un ou l’autre des intervenants. La première concerne un article du code criminel, l’article 319.3b, qui a été évoqué par plusieurs lors de cette commission. En effet, l’article soustrait les propos haineux tenus par des individus ou des groupes de poursuites pénales, si ces discours l’ont été dans le cadre de l’expression d’une foi religieuse. Voici l’article verbatim: « Nul ne peut être déclaré coupable d’une infraction prévue au paragraphe (2)… (si) il a, de bonne foi, exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel il croit, ou a tenté d’en établir le bien-fondé par argument  » . Tout le problème est là. Le discours islamiste, pour donner cet exemple, est souvent extrêmement haineux envers un grand nombre de personnes et il incite aussi très souvent à la violence contre ces mêmes personnes. Le fait que le code criminel interdise le discours haineux à l’ensemble des citoyens mais qu’il le permette en revanche aux adeptes d’une religion est en soi un problème de droit absolument ahurissant. Tous les citoyens sont supposés être égaux devant la loi. Le Projet de loi 59 ne permet en aucune façon aux citoyens d’être plus égaux devant la loi, au contraire, il accentue ces inégalités pour toutes les raisons qui ont été mentionnées par les intervenants lors de ces présentations.

La deuxième concerne la judiciarisation des conflits entre individus et entre groupes. La judiciarisation des conflits m’apparaît comme étant la pire façon de régler des différents entre citoyens. La médiation, la négociation sont certainement davantage capables de créer un climat propice au développement des sociétés et de ses institutions que les poursuites judiciaires. Lorsque l’on poursuit quelqu’un ou un groupe, c’est souvent un aveu d’échec car cela signifie que le dialogue social ne fonctionne pas. Comme les gens ne peuvent régler un problème qu’ils ont par eux-mêmes, ils confient cela à organisme tiers, dans ce cas-ci les tribunaux ou une instance quasi-judiciaire comme une quelconque commission des droits de la personne. La perspective offerte par l’adoption du Projet de loi 59 dans sa forme actuelle, ou remaniée de façon superficielle, sera que les citoyens vont se balancer des poursuites judiciaires à la figure, souvent pour bâillonner leurs adversaires, au lieu de s’assumer comme adultes et d’assumer leurs idées. Les dénonciations anonymes faites à la Commission des droits de la personne, sans frais juridiques à débourser, vont favoriser le développement d’une société infantile et irresponsable, ainsi que celui d’une culture de la délation et de l’humiliation publique. La proposition de constituer une « liste noire » des personnes qui seraient accusées par la Commission des droits de la personne est un signe flagrant de ce dangereux glissement.

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L’affaire Roberge et ses conséquences pour le renseignement québécois

L’affaire Roberge a porté un dur coup aux forces policières du Québec ces dernières semaines. Pour ceux qui ne le sauraient pas, rappelons que Benoît Roberge est ce policier du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) qui aurait accepté des pots-de-vin d’organisations criminelles en échange de renseignements. Comme l’avait déclaré le directeur de la Police de Montréal, Marc Parent, à l’annonce de l’arrestation du policier: « On s’est senti trahi ». Et pour cause. Un enquêteur haut placé dans la structure hiérarchique de ce corps policier, qui vend des renseignements au crime organisé, quand on dans le métier et qu’on essaie de faire son travail, ça fait mal. On comprend donc le désarroi que peuvent ressentir les corps de police québécois. Mais je crois qu’il faut également prendre en considération le désarroi d’une autre catégorie de québécois: les citoyens en général. En effet, qui va parler à la police maintenant? Qui va partager de l’information avec les corps policiers en ayant en tête que l’agent à qui un citoyen s’adresse est peut-être un agent double pour une organisation criminelle? Par ailleurs, cette affaire fait ressortir aussi le problème des fameux « programmes de rapprochements » avec les communautés musulmanes. Ces programmes sont mis en place par des corps policiers ou des partis politiques pour, comme le nom l’indique, rapprocher des institutions occidentales de communautés islamiques ou même islamistes. Les deux groupes partagent du renseignement et essaient de mieux se comprendre et collaborer pour éviter des attaques terroristes. Ce n’est pas une mauvaise idée en soi mais néanmoins ces initiatives mettent les policiers dans des situations vulnérables où ils peuvent facilement être corrompus par des éléments du crime organisé arabo-musulman ou par des organisations terroristes et devenir ainsi des agents doubles pour ces groupes. Donc, je répète ma question, qui va parler aux policiers maintenant?

Cette problématique s’amplifie lorsque l’on considère la concentration du renseignement dans le monde moderne. Suite à l’invention de l’ordinateur et des banques de données, des caméras de surveillance et de tout l’appareillage de type « Big Brother » dont on est entouré, une masse incroyablement dense d’informations est stockée dans un nombre de lieux assez restreint et un nombre limité de personnes y ont accès. Pour donner un exemple classique, en Union Soviétique, pour surveiller la population, le KGB devait placer physiquement des espions dans chaque café, librairie, usine, etc. Les dissidents étaient détectés un à un de façon ardue. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Quelqu’un peut établir la liste de tous les dissidents ou citoyens jugés indésirables pour un quelconque groupe d’intérêts à partir d’un ordinateur. S’il a accès par exemple aux fichiers de la police ou même à la base de données de réseaux sociaux comme Facebook par exemple, c’est assez simple à faire. En somme, là où je veux en venir, est que loin d’avoir produit une société plus sécuritaire, la société de type Big Brother nous a en fait rendus tous plus vulnérables. Nous vivons maintenant dans un monde extrêmement dangereux. Le renseignement est tellement concentré qu’il suffit qu’une organisation criminelle ou terroriste ait un agent à l’intérieur de la machine pour produire un dommage irréparable. Si vous avez vu le dernier film de James Bond, Skyfall, vous vous souvenez peut-être de cette scène où le personnage du vilain se trouve dans une salle, entouré d’ordinateurs. Alors que James Bond est retenu prisonnier, le vilain lui déclare pouvoir, à volonté, accéder au système bancaire et le faire planter, prendre le contrôle d’un satellite, de la bourse, d’armements militaires, etc. Ça donne une idée du problème auquel nous sommes confrontés avec la concentration du renseignement. En permettant cette concentration, nous avons en fait rendu la tâche beaucoup plus facile aux organisations criminelles de prendre le contrôle des sociétés. Ils ont moins d’efforts à faire qu’auparavant. On ne connaît pas toutes les ramifications de l’opération d’agent double de Roberge mais une chose est sûre, il est possible que ce ne soit que la pointe de l’iceberg. Des indices s’accumulent sur les forces policières québécoises qui laissent croire à un certain degré de corruption et de désagrégation des bonnes moeurs déontologiques. Mentionnons par exemple le cas d’un autre « taupe » du SPVM, Ian Davidson, qui vendait des informations lui aussi au crime organisé, le cas de Claude Aubin, pour les mêmes raisons, le cas de ce citoyen de Trois-Rivières, Alexis Vadeboncoeur, qui a été battu apparemment sans raison par des agents de la Sûreté du Québec à Trois-Rivières, le cas similaire de Norbert Mestenapeo sur la Côte-Nord, l’arrestation gratuite du journaliste du Journal de Montréal Éric-Yvan Lemay, qui ressemblait davantage à une tentative d’intimidation et d’humiliation, le harcèlement et l’intimidation dont aurait été victime Jason Gabriel, un résident de Kanesatake, sont quelques exemples pouvant laisser croire qu’une certaine portion des forces policières québécoises a pu être tournée, à son insu, contre les citoyens. Les individus considérés dissidents ou marginaux peuvent ainsi facilement être transformés en terroristes ou en criminels lorsque les policiers chargés des enquêtes sont eux-mêmes, parfois, des criminels, des agents doubles ou corrompus.

Au final, l’affaire Roberge risque de faire autant de dommage au renseignement québécois que l’affaire Snowden a pu en faire au renseignement américain. Ce sont deux cas différents mais les conséquences au fond sont les mêmes: perte de confiance, sources de renseignement compromises, opérations sabotées, etc. Les opérations d’infiltration ou d’agents doubles à la Roberge ou Snowden réalisent le vieux rêve du communisme, à savoir détruire toute opposition en transformant tout citoyen en criminel potentiel. Je ne sais pas ce que vous en pensez mais moi, ça ne me rassure pas du tout.